Charpentier de marine
Sous l’Ancien Régime, le charpentier de marine est celui qui construit les vaisseaux - sans plans, sans chiffres, en se fiant uniquement au savoir ancestral transmis de génération en génération. Ce roi du chantier naval va progressivement perdre au cours du XVIIIème siècle ses prérogatives.
Le charpentier de marine dans sa gloireEn matière de construction navale, le secret a toujours été la tradition. Chaque praticien garde jalousement son savoir, tant est grand le prestige attaché à la personne d’un maître charpentier. Seuls peuvent bénéficier de ses connaissances ses fils ou de proches disciples, véritables enfants adoptifs. Les bateaux en construction font rarement l’objet de plans, l’usage d’en dresser commence à peine à se répandre fin XVIIIème siècle.
La construction d’un navireLe maître charpentier doit faire retailler et ajuster les pièces de charpente et de bordage préparées par les scieurs de long, puis acheminées au pied de la cale par les manoeuvres et leurs boeufs. Puis poser la quille sur la grève, si possible orientée nord-sud pour éviter les déformations, en ajuster la rablure qui reçoit le bordé de galbord, un vrai travail d’artiste car il ne faut en enlever ni trop ni trop peu. Tracer et monter le maître couple, le couple de l’avant, celui de l’arrière, puis les couples de levée, placés à égale distance sur toute la longueur du vaisseau, enfin, dans les vides, les couples de remplissage. Fixer le vaigrage à l’intérieur, le bordé à l’extérieur, percer les sabords sur le squelette ainsi formé, établir les différents ponts, travail délicat confié aux perceurs, peu nombreux, qui préparent les avants trous destinés à recevoir les gournables, les chevilles, les clous des forgeurs, près de soixante tonnes sur un vaisseau, tous garants de la cohésion des pièces.
Puis, les calfats ayant assuré l’étanchéité de la coque, des ponts et de toutes les coutures, les maîtres charpentiers préparent la phase la plus spectaculaire, la plus émouvante aussi. Après la mise en place de l’avant-cale avec tout l’appareil de lancement nettoyé soigneusement de tous copeaux, clous et obstacles, vient l’ultime action, qui demande un doigté qui ne s’enseigne pas dans les écoles : ôter les tins, de façon prudente et progressive, afin de libérer le navire qui s’apprête à glisser sur la cale pour se marier jusqu’à la fin de ses jours avec la mer.
Début d’une formation et fin d’un métierEn 1665, Colbert charge des maîtres charpentiers d’enseigner dans les écoles de construction qu’il vient de créer. Progressivement, les maîtres charpentiers sont fermement requis de recruter, parmi les fils de la petite bourgeoisie des ports, des dessinateurs plus instruits que leurs apprentis habituels, souvent illettrés. Enfin, le premier traité qui associe le savoir-faire des charpentiers de marine et les connaissances théoriques accumulées sort en 1746, Traité du Navire, de sa construction et de ses mouvements. Les maîtres de hache, les plus chevronnés des charpentiers de marine, prennent en 1741 le titre de constructeurs, en 1765 celui d’ingénieurs-constructeurs. Ces titres traduisent une augmentation de leur pouvoir. Mais se réduisent aussi les responsabilités de ceux qui, faute d’une éducation suffisante, ne peuvent accéder à cette formation et sont restés maîtres charpentiers. Ces hommes sur qui reposait l’essentiel, à savoir la conception, les tracés directs sur les pièces de bois, la réalisation, et de façon générale la conduite du chantier, se voient peu à peu dépouillés de leurs prérogatives.
Extrait du chapitre concerné, dans l’ouvrage Les métiers d’autrefois, de Marie-Odile Mergnac, Claire Lanaspre, Baptiste Bertrand et Max Déjean, Archives et Culture.