Tanneur
On a dit méchamment que pour faire un bon tanneur, il fallait être grand, fort et bête. Fort oui, mais le reste est gratuit. Le tanneur transforme la matière première (le cuir) sans lien direct avec l’utilisateur final ; son travail est obscur, malodorant, pénible... bref : ingrat.
Echarneurs, tanneurs et corroyeurs L’apprentissage du métier de tanneur est difficile comme le coup de main qu’il faut acquérir, cuir après cuir. La fabrication comporte trois grands types d’opérations : l’écharnage, le tannage et le corroyage, l’ensemble prenant facilement deux ans.
L’écharnage (ou travail de rivière) consiste, après avoir fait tremper à l’eau courante les peaux brutes, à les débarrasser des souillures, poils et débris de chair, et à les préparer à subir l’action du tan. Pas question de faire un trou sur la peau gonflée d’eau et de chaux ! On doit voir la trace des longs coups de faux, signe que les cuirs ont été écharnés juste ce qu’il faut. Autrefois effectué entièrement à la main à l’aide de couteaux spéciaux, ce travail est aujourd’hui effectué avec des tonneaux roulants, les foulons, et sur des machines appelées écharneuses.
Le tannage proprement dit recouvre basserie et couchage en fosses. Les peaux sont transformées en cuir sous l’effet de substances tannantes qui se fixent sur les fibres pour les rendre imputrescibles. Les peaux passent dans une série de bassins emplis avec du jus tannant d’une concentration de plus en plus forte, puis effectuent un long séjour dans de grandes fosses où elles s’intercalent avec des couches d’écorce de chêne broyées. Le travail de basserie est délicat : il ne faut pas que la peau, dont la "fleur" est fragile au sortir des pelains, se "graine" au contact du jus de tannin où l’on aurait mis trop de poudre. Le travail du coucheur en fosse demande aussi de l’expérience, car le cuir doit reposer bien à plat sur le précédent, en suivant un mouvement circulaire, et il doit être uniformément en contact avec la poudre de tannin.
Quant au corroyeur, c’est en quelque sorte l’aristocrate du métier, qui égalise les cuirs en épaisseur. Son apprentissage est plus long, la gamme des cuirs et des outils est plus variée. Il faut savoir affûter et manier le fameux couteau à dérayer, à double lame, utiliser l’étire, petite lame de fer dont l’affûtage très soigneux sur un grès fin permet de détacher toutes les aspérités du côté chair pour donner au cuir un fini impeccable. Travail fatiguant qui donne des durillons aux doigts des corroyeurs spécialisés. Le rebroussage à la marguerite, cette grosse pièce de bois munie de dents, provoque une intense fatigue.
Machines et dangers en tout genreL’introduction des machines, à partir de 1850, si elle supprime certains efforts, provoque la déqualification des ouvriers et est la cause de graves accidents. La presse de l’époque en rapporte de nombreux exemples : main broyée par les rebrousseuses mécaniques, doigts écrasés par les marteaux, bras arrachés par les broyeurs à écorce, fractures provoquées par les poulies…
Même en dehors des ateliers mécanisés, le danger subsiste. On cite le cas d’ouvriers morts noyés en tombant dans des fosses mais, le plus souvent, les accidents se limitent à des coupures, surtout chez les écharneurs.
Plus grave est le charbon, la plus redoutable maladie professionnelle des tanneurs, qui apparaît à partir de la fin du XIXème siècle, avec l’introduction de peaux exotiques. Elle se manifeste par une pustule maligne qui se développe sur le cou, les lèvres ou les yeux et qui entraîne la mort en l’absence de soins rapides.
Extrait du chapitre concerné, dans l’ouvrage Les métiers d’autrefois, de Marie-Odile Mergnac, Claire Lanaspre, Baptiste Bertrand et Max Déjean, Archives et Culture.